Théorème de Goldstone et brisure de symétrie

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Un des concepts fondamentaux en théorie des champs est celui de symétries, et souvent les théories peuvent être entièrement décrites à partir de la liste des symétries (plus des champs quantiques existants). Les fluctuations quantiques sont définies autour d’un « vide », qui est l’état de plus basse énergie de la théorie. Toutefois ce vide peut ne pas préserver toutes les symétries de la théorie originelle : le théorème de Goldstone conduit à l’existence de particules sans masse, qui correspondent aux symétries brisées.

Les symétries en physique

Les symétries imposent des contraintes sur les formes que peuvent prendre les interactions entre les différentes particules, de même que les diverses propriétés de ces dernières. Ainsi la charge électrique et l’interaction électromagnétique sont toutes les deux une conséquence d’une symétrie appelée U(1), ou encore la classification en bosons et fermions (particules de spin entier ou demi-entier) provient du groupe de Lorentz.

Un groupe de symétrie \( G \) est caractérisé par des générateurs \( T^A \), dont le nombre est donné par la dimension du groupe notées \( n = \dim G \); dans ce cas \( A = 1, \ldots, n \). Ceux-ci, en agissant sur les champs quantiques, génèrent les opérations élémentaires de symétries, à partir desquelles on peut construire n’importe quelle autre symétrie du groupe \( g \), plus précisément en utilisant l’exponentielle de ces générateurs fois des constantes \( c^A \)
\[ g = \mathrm{e}^{c^A T^A}. \]

Symétries dans le plan

Cette figure montre la composition des trois opérations de symétries élémentaires (translation selon les axes x et y, rotation autour de l’origine) appliquées sur un carré.

Par exemple si on considère un plan (avec deux dimensions, abscisse et ordonnée, notées \( x \) et \( y \)), on note \( P^x, P^y \) les générateurs des petites translations selon les axes \( x \) et \( y \) respectivement ; de plus on aura le générateur \( J \) des rotations autour de l’origine. N’importe quelle autre opération peut s’exprimer comme une combinaison de ces générateurs, comme
\[ a^x P^x + a^y P^y + \theta J \]
où \( (a^x, a^y) \) est interprété comme une translation et \( \theta \) est l’angle de rotation.

On distingue deux types de symétries :

  • les symétries d’espace-temps : translations, rotations pour les plus connues, mais aussi les symétries conformes (qui préservent les angles mais pas les distances : par exemple la dilatation) et la supersymétrie ;
  • les symétries internes : comme le groupe de jauge du modèle standard pour les interactions électromagnétique, faible et forte.

Pour des explications plus détaillées sur le concept de symétrie en physique, le lecteur pourra regarder mes articles dans l’Hibou’k, numéro 2 et numéro 3.

Théorème de Goldstone

En théorie des champs on appelle vide d’un champ quantique la valeur moyenne autour de laquelle ce dernier fluctue (où les fluctuations apparaissent comme des particules). Le vide d’une théorie est défini comme la valeur moyenne de tous les champs, et il s’agit de l’état de plus basse énergie ; on l’écrit \( |0 \rangle \) (dans la notation de Dirac). En réalité la situation est plus compliquée : la théorie peut admettre un ensemble de vides (e.g. paramétré par un angle), et la dynamique va en sélectionner un particulier.

Toutefois ce vide peut ne présenter qu’un sous-ensemble des symétries de la théorie d’origine : on parle de brisure spontanée de symétrie. Cela se traduit par le fait que les générateurs de ce sous-groupe laisse le vide invariant, tandis que les autres transforme ce vide en un autre de la théorie. Ici il est important de distinguer entre le vide sélectionné par la théorie – autour duquel les particules vont se développer – des vides autorisés par la théorie en général – tous équivalents de ce point de vue (on parle d’espace de modules, ou de directions plates).

Pour être plus spécifique, notons \( H \), de dimension \( p =\dim H \) le groupe préservé par le vide : les générateurs associés sont \( T^a \) avec \( a = 1, \ldots, p \) et donnent zéro quand on les applique sur le vide :
\[ T^a |0 \rangle = 0. \]
Les autres générateurs notés \( T^\alpha \) pour \( \alpha = p+1, \ldots, n \) ne laissent pas le vide invariant, c’est à dire
\[ T^\alpha |0 \rangle \neq 0. \]
Ces générateurs brisés paramétrisent le coset \( G/H \) de dimension
\[ \dim G/H = \dim G – \dim H = n – p. \]
Avec ces notations les générateurs d’origine sont divisés selon ces deux catégories : \( T^A = (T^a, T^\alpha) \).

(Nous pouvons remarquer que les concepts sont très proches de ce que j’exposais dans mon article sur les symétries et les dualités en supergravité.)

Maintenant nous pouvons énoncer le théorème de Goldstone, un des théorèmes les plus fondamentaux en physique théorique :

Pour chaque générateur brisé d’une symétrie interne globale il existe une particule sans masse, appelée boson de Goldstone.

En utilisant nos notations précédentes nous avons donc \( n – p \) bosons de Nambu–Goldstone. Ces particules sont interprétées comme des excitations qui vont dans le sens de la direction plate, c’est-à-dire qui « explorent » les vides adjacents : comme ceux-ci ont la même énergie que le vide actuel, ces déplacements ne coûtent aucune énergie, et donc ces particules n’ont pas de masse.

Lorsqu’il s’agit d’une symétrie locale, ces bosons de Goldstone sont « mangés » par des bosons de jauge (qui transmettent les interactions) qui deviennent alors massif : il s’agit du phénomène de Higgs. Les bosons massifs sont les bosons \( Z^0, W^\pm \) de l’interaction faible.

Exemples

Ces bosons de Goldstone apparaissent partout en physique des particules et en matière condensée :

  • les pions sont des pseudo-bosons de Goldstone, associés à la brisure de la symétrie chirale en chromodynamique quantique (QCD) ;
  •  les phonons, vibration collective dans les solides et les fluides (quanta associés aux ondes sonores).

Conclusion

Dans ce billet j’ai touché quelques notions sur les symétries en physique théorique, qui viennent compléter mes articles de l’Hibou’k. Toutefois le théorème de Goldstone tel que je l’ai présenté ici (qui est celui que l’on retrouve dans la plupart des livres) est incomplet : il ne fonctionne pas pour les théories des champs non-relativistes, ni pour la brisure des symétries d’espace-temps. J’aborderai ces cas dans un autre billet.